Peut-on juger de ses propres œuvres ? Pas certain. Et ce, d'autant moins, quand, n'ayant pas embrassé de carrière artistique, l'œuvre en question demeure à jamais singulière, que le passage du temps scelle comme une curiosité détachée de sa propre trajectoire. Que s'y ajoute le caractère de juvenilia et la chose se complique encore. Amusement, tendresse gênée ou franc rejet sont parfois de mise devant le fruit des circonstances, un peu comme un enfant qu'on aurait eu trop tôt sans pouvoir jamais se tenir à bonne distance d'une méprise jamais dissipée.

Patrick Tardivon a tout juste 16 ans quand il enregistre ces chansons. À s'en tenir au titre choisi pour ce disque, l'exercice a tout de ce que les anglo-saxons désignent comme un vanity press – soit un album produit à très peu d'exemplaires de façon artisanale au frais de l'auteur et dont la distribution est réservée essentiellement aux amis, au cercle proche ou au public d'un soir. Pour restreinte que soit l'ambition de ce genre de projet qui consiste aussi pour son auteur à « avoir la satisfaction d'entendre sa voix sortir des deux baffles d'un électrophone et de voir son nom sur l'étiquette centrale du vinyle », ainsi qu'il le concède dans un insert, il arrive parfois qu'elle excède le plaisir du simple contentement originel. Si surprise il y a, elle ne se réduit en rien à celle du simple objet offert dont parle le chanteur et nul n'est besoin de plaider l'indulgence face à un disque qui n'aurait pas « la qualité d'un disque commercial » .

Co-signé avec Jean-Philippe Seunevel à qui l'on doit également le magnifique dessin d'arbre de vie paste-on-cover,  "Un disque fait pour ses amis" s'avère résolument le disque de deux faces, ou presque.

La face A du disque offre assurément le profil d'un chanteur qui ne vise d'autre but que d'amuser, qui chante pour son plaisir et pour le plaisir de l'auditoire, conformément au programme de l'insert. Evariste en mode folk, cousin d'un Vassiliu ou d'un Ricet Barrier au temps du Petit Conservatoire, le jeune Patrick Tardivon n'en a pas moins l'abattage d'un chansonnier qui aurait fait ses classes à l'Ecluse ou au Cheval d'or. S'y enchaînent, ponctuées par des transitions un rien cyniques et détachées, les titres où les doubles ententes (« Lisa », « Petite Stéphanie ») doivent moins à Marivaud qu'aux acrobaties de salles de gardes, suscitant les réactions et les vivats d'un cénacle complice. Puis – coup de pistolet dans un concert – « Mourir avant » vient clore cette première face sur fond de topos romantique où seule une mort précoce dérobe au flétrissement et à la trahison de l'Idéal. C'est par ce titre fragile et intense dont le chant est confié aux soins de Jean-Philippe que Patrick Tardivon troque sa défroque d'amuseur pour celle de troubadour minimaliste, n'était une dernière prestation live grinçante, toute en feulements (« Le vampire »). Cette rupture de ton s'accorde, il est vrai, à la jeunesse. Fidèle à cet âge où le désespoir et la gravité font place, le temps d'un soupir, à l'humeur rigolarde, la face B arpente les territoires de l'intime et des élans lyriques retenus. C'est dans ce registre que le jeune chanteur donne sa pleine mesure. On aura rien dit d'ailleurs tant qu'on aura pas souligné l'étonnante maturité de cette voix. Qu'il s'essaie au swing d'une love-song nonchalante (« Whisky à deux », avec François Cayla à la clarinette) ou qu'il file la métaphore avec grâce (« Petit papillon »), c'est quand il chante l'émotion d'un cœur ému, dans ces adresses à la bien-aimée comme autant de chuchotements doux que Patrick Tardivon excelle, avec pour point d'orgue le merveilleux dénuement du titre-blason « Donne-moi le bleu ».

500 copies furent pressées, distribuées d'abord aux amis, puis écoulées quelques années plus tard dans un village de vacances où Patrick était animateur. Autres temps, autres mœurs.


Jean-Philippe Seunevel - Mourir avant

Patrick Tardivon - Maintenant, ne dites plus rien

Patrick Tardivon - Tourne ton visage vers nous

Retour à l'accueil